Pour cette nouvelle édition du « Rendez-vous du mois », le rendez-vous sportif est parti à la rencontre de Béatrice Barbusse, Maître de Conférences en Sociologie à l’Université de Créteil, membre du CA de la FFHB, Chevalier de la Légion d’Honneur … et pas seulement !
- Bonjour Madame Barbusse, pouvez-vous vous présenter ?
J’ai 49 ans. J’ai fait des études universitaires d’économie jusqu’en maitrise et de sociologie jusqu’au doctorat. Conjointement j’ai intégré l’Ecole Normale Supérieure de Cachan où j’ai préparé l’agrégation de Sciences sociales. Après un passage éclair de deux ans en Lycée où j’enseignais les Sciences économiques et sociales, j’ai intégré l’université. J’ai alors fait une thèse de sociologie et aujourd’hui, je suis maitre de conférences en sociologie à l’université de Créteil au sein de l’UFR Administration et échanges internationaux. J’y enseigne principalement la sociologie appliquée au management des RH et le pilotage du changement à des futurs cadres. A côté j’enseigne le management des RH sportives et plus généralement dans le sport dans plusieurs masters en management du sport : Créteil, Kedge Business School, Université de Caen et une intervention à Audencia Nantes sur une approche socio-historique des APS. J’ai également par le passé assumé des responsabilités au niveau de la direction de mon université (Assesseure à l’insertion professionnelle et aux partenariats économiques) et de mon UFR (co-responsable d’une filière RH et puis d’un master en GRH). Aujourd’hui avec toutes mes occupations je me suis recentrée sur l’enseignement en management des RH.
- Nous savons que vous occupez de nombreuses fonctions, pouvez-vous rapidement les détailler ?
En dehors de mon métier, j’occupe principalement deux fonctions : membre du CA de la FFHB depuis le début de l’année 2014, je co-pilote le plan de féminisation de la fédération sur lequel on devrait communiquer dans les mois à venir. Mais le dernier Hand Mag y consacre déjà 4 pages.
Depuis les dernières élections municipales j’assume la fonction de conseillère municipale déléguée aux sports dans ma ville, à Créteil. Quand le député-maire Laurent Cathala m’a demandé de rejoindre sa liste en tant que personnalité de la société civile, j’ai réfléchi et j’ai accepté car j’avais envie de rendre à ma ville ce qu’elle m’avait donné. J’y habite depuis 45 ans, j’y ai fait une grande partie de mes études, j’y ai joué au hand pendant 15 ans au plus haut niveau puisque l’on a évolué pendant quelques années en D1 (la N1 A avant), j’y ai été dirigeante sportive puisque j’ai été pendant de longues années membre du CA de l’US Créteil et même trésorière après le départ de Jean-claude Tapi du club. J’y travaille depuis plus de 20 ans. J’avais envie de revenir aux sources et surtout de faire l’apprentissage d’une fonction politique locale au côté du maire-adjoint des sports que je connais bien et d’y amener toutes mes compétences en matière sportive accumulées depuis plus de 30 ans.
J’ai comme vous pouvez le constater plusieurs vies. Tout cela demande beaucoup d’organisation, de réactivité et d’enthousiasme et j’en ai à revendre !
A côté, je m’investis dans le mouvement sportif à chaque fois que je considère que c’est pertinent. J’appartiens ainsi au think tank Sport et Démocratie présidé par Sylvère-Henri Cissé et Serge Simon. On organise des journées débats, des diners… On fait feu de tout bois pour faire avancer la cause sportive auprès des politiques car le sport n’est pas suffisamment pris au sérieux et donc développé en France comparativement aux Etats-Unis par exemple ou l’Angleterre. J’appartiens aussi à l’association Femix-Sport et je leur donne un coup de main quand je le peux. C’est une association qui milite pour la mixité dans le sport et donc pour qu’il y ait notamment davantage de femmes dirigeantes, cadres techniques… Bref tout un programme et un combat encore à mener.
- Quels sont vos thèmes de recherche principaux en tant que Maître de Conférences ?
J’ai deux domaines principaux de recherche. A la suite de ma thèse sur les apports réciproques entre le sport et la GRH en entreprise, je continue à m’interroger sur la réciprocité réelle et/ou supposée, effective et/ou potentielle entre les deux. Un domaine auquel personne ne s’intéressait au moment de ma recherche au milieu des années 1990 et qui aujourd’hui est devenu un sujet à la mode. A la rentrée, je dois normalement travailler à la coordination d’une revue de sociologie sur la problématique des relations entreprise-sport qui devrait voir le jour en 2015.
Dans la continuité, je m’intéresse plus particulièrement au management et à la GRH dans le sport. J’ai commencé une recherche avec un de mes collègues gestionnaires sur les souffrances au travail sportif, c’est à dire tout ce que l’on peut assimiler aux risques psychosociaux et aux maux physiques dans la pratique de haut-niveau et en particulier dans le sport professionnel. Ma rencontre avec Raphaël Poulain, ancien rugbyman professionnel et auteur de l’excellent récit Quand j’étais Superman, a été un déclic. Je vois à quel point ce qu’une mauvaise gestion des ressources humaines sportives peut engendrer comme dégât pendant et après la carrière sportive. Il faut mettre au jour d’abord pour sensibiliser ensuite les dirigeants sportifs sur cette question, les entraineur-es, les managers, les président-es et éventuellement mettre en place des formations. Ce domaine n’est jamais assez pris au sérieux y compris dans les formations de management du sport en dehors de quelques exceptions comme à Marseille, Créteil et Caen. La GRH est souvent le parent pauvre.
Mon deuxième domaine de recherche concerne les relations formation-emploi et plus particulièrement la problématique de l’insertion professionnelle des jeunes diplômés. C’est dans ce cadre que depuis 2006 avec mon collègue Dominique Glaymann nous menons des recherches sur les stages en organisation (entreprise, administration, association). Nous avons déjà organisé un colloque sur la thématique, une journée de recherche et créé un réseau de recherche international sur les stages et leur gouvernance, le RESTAG. Actuellement nous achevons une enquête menée en partenariat avec l’APEC (Agence pour l’emploi des cadres) sur le tutorat des stages par les cadres dont nous devrions livrer les résultats à la fin de l’année.
Enfin parce que je suis sociologue et que la vulgarisation de la sociologie générale me tient à cœur car je pense que c’est une discipline fort mal connue et qui peut être d’une grande ressource pour les individus contemporains, j’aime avec mon collègue Dominique Glaymann écrire des manuels de sociologie générale. Il y en a un qui sort à la rentrée. C’est une réédition et donc une actualisation de La sociologie en fiches chez Ellipses dans lequel je n’ai pas manqué de faire apparaitre une fiche sur le sport et une autre sur le genre !
- Vous défendez la cause et les droits des femmes dans le sport. Quel constat faites-vous du sport professionnel féminin à l’heure actuelle ?
Il faut tout d’abord différencier les sports individuels et collectifs. Mais de manière générale, on peut dire que le sport professionnel féminin est très peu développé. On en est au stade de l’enfance. Peu de sportives peuvent vivre de leur sport en dehors de quelques « stars » en football, basket, hand, volley. Et encore, elles ne peuvent pas accumuler au point d’en avoir assez jusqu’à la fin de leur vie. Dans les sports individuels, c’est très hétérogène. Hormis quelques exceptions dans le tennis, voire l’athlétisme, l’équitation, la natation, elles ne peuvent pas être professionnelles et pratiquer leur sport à temps plein. Et quand elles le font, c’est en tant que sportive de haut-niveau ce qui n’est pas aussi avantageux que d’être professionnelle sur le plan social. Les structures qui soutiennent le sport féminin professionnel (clubs, ligues) sont encore très fragiles et insuffisamment développées. Le football féminin n’a pas encore par exemple de structure professionnelle. Il n’existe pas encore de ligue de football féminin professionnel. Les moyens (logistiques, financiers, RH) alloués aux sportives professionnelles sont encore insuffisants. Les fédérations y vont avec parcimonie, les clubs manquent de sponsors. Les sportives ne sont que très faiblement syndiquées et ont dû mal à faire avancer par elle-même les choses. Aujourd’hui, on sent que cela avance un peu certes. On en parle, on en voit plus souvent dans les médias, des plans de féminisation sont mis en place dans la majorité des fédérations. Mais il y a tellement de retard que tout cela va prendre encore du temps d’autant plus que même dans le sport masculin, les choses sont encore à consolider dans certains sports comme le volley, le hand, le basket.
- La Coupe du Monde de Rugby Féminin vient de se terminer et cette compétition a connu un engouement sans précédent. Comment l’expliquez-vous ?
Il faut relativiser car pour le rugby féminin on partait de zéro. Il y a eu donc un effet de curiosité et de surprise qui a joué à un moment où il n’y avait en outre aucune actualité sportive masculine. En outre, cette compétition a été diffusée sur une chaine accessible à tous alors ça favorise forcément le passage à l’acte (de regarder). Mais ce qui est intéressant quand on écoute ceux et celles qui ont regardé les matchs, c’est qu’ils ont été séduits. Ils ont découvert que des femmes pouvaient jouer à un sport dit « masculin » et qu’elles n’étaient pas ridicules bien au contraire. En outre, elles ont montré un super état d’esprit à l’image des braqueuses (NDLR : surnom de l’Equipe de France de Basket Féminine) et bon nombre d’amateurs de sport déçus de voir comment l’argent peut pervertir le sport professionnel masculin prennent plaisir à retrouver ce que le sens commun nomme « les vraies valeurs » du sport. Je crois vraiment que les gens ont envie et prennent plaisir de plus en plus à découvrir et à voir du sport féminin surtout quand il y a de la performance au bout comme ça a été le cas avec cette médaille de bronze que les rugbywomen ont été cherchées.
- Malgré des audiences plus que correctes, cet évènement reste à l’image du football très nettement sous-médiatisé par rapport à son homologue masculin. Pensez-vous que ces sports atteindront une quasi-équité hommes/femmes que l’on retrouve presque dans le tennis ? (diffusion TV, prize-money etc.)
Pour la diffusion TV, parlons uniquement des sports collectifs car pour les sports individuels, les filles concourent au même moment que les hommes et sont donc médiatisées quasi à égalité. En sport collectif, les filles ne seront jamais autant médiatisées que le foot mais là même les autres sports collectifs ne pourront pas le rejoindre. En revanche, ce que l’on peut dire avec certitude c’est que l’on va de plus en plus voir à la TV et dans les médias en général. Des chaines sportives comme Eurosport aujourd’hui en fait même un levier de développement. Et son directeur général, Arnaud Simon qui considère que c’est une obligation, n’a pas hésité à lancer dès la rentrée un magazine à 100% consacré au football féminin. Une première en France qui symbolise le changement en cours.
En ce qui concerne les autres aspects et en particulier les moyens alloués notamment financiers et salariaux il va falloir être patient et surtout se battre pour obtenir plus d’équité comme on l’a fait au handball. Quand l’équipe de France gagne un titre, la prime est la même pour les filles que pour les garçons.
- Selon vous, pourquoi la médiatisation du sport féminin peine à s’amplifier ?
Parce que les médias pensent que le sport féminin cela ne va intéresser personne et que ce sont des entreprises privées qui attendent des retours sur investissement. Quand le journal L’Equipe fait sa Une sur le sport féminin, ce sont des milliers de ventes en moins ! Ça c’est la réalité… d’aujourd’hui voire d’hier mais comment les amateurs de sport peuvent s’intéresser aux sports féminins si on n’en voit jamais ! Elles ont donc peur de prendre des risques qui pourtant vont devenir pour elles incontournables comme le montre encore une fois l’exemple d’Eurosport. Les femmes, comme je l’ai écrit dans un chapitre consacré au sport et aux femmes, sont l’avenir du sport. Il y a une telle marge de progression que tous ont à y gagner : les équipementiers, les médias, les fédérations, les clubs…
Et voilà ce qui se passe quand on diffuse du #Sportféminin à la TV ! Encore et on arrivera à le développer davantage! pic.twitter.com/eQsvUgrlUA
— Béatrice Barbusse (@bbarbusse) 12 Août 2014
- Vous êtes très présente sur les réseaux sociaux, notamment Twitter. Est-ce un outil de travail ? Un loisir ? Un peu les deux ?
Un outil de travail essentiellement mais qui ne me prend pas autant de temps qu’on pourrait le croire. Je vais très vite pour écrire ou lire un article avant de RT. Il est en quelque sorte mon bloc note. Il me permet de me débarrasser instantanément de mes pensées qui parfois sont si furtives qu’elles disparaissent aussi vite qu’elles sont venues. J’aime cet outil car il me permet de prendre rapidement connaissance de l’actualité (sportives, RH, politique) et de partager avec le plus grand nombre des informations et des connaissances. Parfois dans mon milieu universitaire je me sens mal à l’aise car on a tendance à s’adresser souvent à une élite et à un public confidentiel. Or moi ce qui m’intéresse le plus c’est de partager des connaissances avec le plus grand nombre. C’est pour cela que j’écris des ouvrages de vulgarisation sociologique et que j’enseigne dans une fac de banlieue où les effectifs sont importants. Et puis les échanges qu’il permet avec tout un chacun sont stimulants parfois même quand ils sont disgracieux voire injurieux. J’aime cette confrontation avec monsieur et madame tout le monde. Je ne veux pas être une universitaire enfermée dans sa tour d’ivoire. J’aime aussi me mettre en danger quitte à perdre de la crédibilité universitaire parce que j’utilise des moyens de communication non académiques.
- Enfin, quel est le rendez-vous sportif qui vous a le plus marqué ?
Désolée mais j’en ai trois :
– Le premier titre de champion du monde des barjots en 1995 avec à leur tête Monsieur Costantini ! Quelle fête on a fait à leur retour ! J’en ai même oublié d’aller à une réunion à la fac mais mes collègues m’en n’ont pas voulu.
– La finale des championnats du Monde féminin de handball en 2003 France/Hongrie : un match d’anthologie ! Revenir en moins de 10 minutes et obtenir la prolongation à la dernière seconde du temps réglementaire et conquérir le titre de championne du monde ! Je m’en souviens encore comme si c’était hier et j’ai utilisé d’ailleurs les 10 dernières minutes de ce match avec l’équipe d’Ivry quand je faisais partie du staff avant d’être présidente pour illustrer la rage de vaincre, la concentration extrême, le courage, la solidarité entre coéquipier-e.
– Le titre de champion de France avec Ivry bien sûr ! Quel bonheur partagé avec tout un club, toute une ville ! Quelle deuxième partie de championnat on a vécue ! La saison de Dunkerque l’année dernière m’a fait penser à la nôtre de 2007 et bien avant la fin de saison, je les voyais champion de France tellement cela respirait l’esprit d’équipe, celui qui transforme et transcende les individus au point qu’ils finissent par constituer un tout c’est à dire où l’individuel et le collectif se confondent. En 2007 nous étions UN ! A la fin de l’avant dernier match où nous consolidons notre place de premier, on n’est même pas sorti alors qu’on était à Nîmes et que c’était la féria. On avait juste envie de rester ensemble, entre nous, à boire des bières, à rire, à parler de tout et de rien, juste être là ensemble. Des moments comme ça sont rares et pour ça rien de tel que le sport collectif !
Merci à Béatrice Barbusse pour sa disponibilité et le temps qu’elle nous a accordé. N’hésitez-pas à prendre connaissance de ses publications qui peuvent en intéresser plus d’un !